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Le pôle Caraïbe, en partenariat avec la Funglode, Iglobale et la Flacso-Rd, a organisé un séminaire sur l’actualité des recherches sur Haïti menées en France et en Belgique. Le séminaire a duré deux heures et a réuni une quarantaine de participant.es autour d’une discussion très riche sur la complexité de la situation haïtienne contemporaine.

Jean-Marie Théodat, géographe, spécialiste d’Haïti et notamment des questions de frontières, a introduit le séminaire en présentant son parcours de recherche, fait d’allers-retours entre Paris et Port-au-Prince, et a mentionné ses projets de recherches actuels. Il travaille notamment sur les processus de fabrique ordinaire de la ville observé depuis le quartier de Caanan, en analysant comment se produit, par le bas, l’urbain dans la capitale haïtienne.

Frédéric Thomas, docteur en sciences politiques et chargé de recherche au CETRI de Louvain-la-Neuve, en Belgique, a ensuite proposé une lecture socio-politique très intéressante du territoire haïtien. Il a d’abord invité à déconstruire le narratif dominant sur Haïti, souvent évoqué au prisme du chaos, de la violence, du martyr et propose au contraire d’inscrire les spécificités d’Haïti dans une histoire commune, du temps long, post-coloniale et caribéenne. Il invite à relier la question humanitaire, sur laquelle il a travaillé, à celle des pouvoirs et questionne l’existence de classes sociales en Haïti et le fonctionnement des mouvements sociaux. Il invite également à se pencher sur la question des citoyennetés et questionner notamment les lieux et espaces de cette citoyenneté, dans un contexte de forte diasporisation de la population haïtienne. Les conditions et le contexte de la rupture et la question du changement social se posent en Haïti, entre nécessité de la consolidation d’un État nation fort et souverain, et parallèlement, l’essor d’expériences alternatives et autonomes de gestion sociale et territoriale, soustraites aux dynamiques étatiques.

            Après ces deux premières présentations plus généralistes, les interventions suivantes se penchent davantage sur la question des diasporas haïtiennes. Maud Laëthier, anthropologue à l’IRD, évoque tout d’abord son parcours de recherche. Elle rappelle qu’elle réalise une anthropologie dans un contexte de violence, un continuum de violence auquel tout le monde n’est pas soumis de la même manière, mais qu’elle ne travaille pas directement sur cette violence. Elle s’interroge dans ses travaux sur la question de la construction nationale et de l’identité haïtienne, à travers les notions de « nation-race » construites sous Duvalier et à partir notamment du massacre de Cazale en 1969. Elle montre notamment comment émerge, dans les années 1950 et 1960, des processus de «racialisation de la culture et de culturisation de la race » dans le pays. Elle questionne aussi les différentes constructions identitaires de la population haïtienne migrante, en se penchant notamment sur des terrains latino-américains, comme la Guyane par exemple. Si les migrant.es sont des agents de transferts sociaux, culturels et identitaires, elle insiste aussi sur la dimension dynamique des identifications et rappelle que la communauté haïtienne ne peut pas être considérée comme une vraie catégorie compte-tenu des disparités importantes qui la traversent. Ses derniers travaux portent sur l’histoire de l’anthropologie, dans une perspective caribéenne comparative.

Cédric Audebert, géographe à l’Université des Antilles, et spécialiste des diasporas caribéennes et notamment des haïtiens à Miami, dresse lui un portrait de la diaspora haïtienne contemporaine. Il rappelle qu’un quart de la population du pays vit en dehors des frontières nationales et que les transferts de la diaspora représentent près d’un tiers du PIB du pays, soit 3 milliards de dollars annuels de transferts vers l’île. Il souligne la dispersion géographique de cette diaspora, entre États-Unis, Canada, Europe, Amérique latine et Caraïbes. Ses dernières recherches se justement intéressés au système migratoire haïtien en Amérique du Sud, pour lequel il a publié un ouvrage en 2022, et dans lequel il questionne les liens entre les différents pôles de l’immigration. Il insiste sur l’importance de la diaspora à l’échelle micro-sociale et méso-sociale, les « diaspora » ayant un rôle structurant dans l’alimentation, la scolarisation, la santé et l’immobilier en Haïti par exemple. Il montre comment cette diaspora entraine des modifications des manières de consommer et opère des transferts financiers mais aussi culturels et en terme de valeurs. Il insiste sur la dimension politique de cette diaspora, qui certes agit à distance mais est également largement tenue à distance et dont le poids est limitée par sa division importante, dans un contexte où toutes les diasporas ne se valent pas. La question des diasporas est alors essentielle à analyser dans le contexte de la « vulnérabilité multidimensionnelle » que connaît Haïti. Selon le chercheur, cette vulnérabilité s’exprime à travers des structures sociales profondément inégalitaires, des conditions environnementales précaires, une instabilité des relations internationales et l’interférence historique des États-Unis en Haïti, ce qui produit une insécurité multiforme dans le pays.

            Après ces différentes présentations, un temps d’échanges a eu lieu avec le public, où plusieurs questions ont été posées. Jean-Marie Théodat a alors souligné la division importante de la diaspora haïtienne, qui relève selon lui d’une fiction, tant son unité est faible. Il a aussi souligné la solitude historique d’Haïti depuis plus de 200 ans, dont l’identité s’est construite dos au mur et sans soutien d’aucun pays. Au sujet d’une question sur une possible intervention militaire canadienne en Haïti, le chercheur a rappelé que selon lui, aucun pays n’avait de légitimité historique et éthique à une telle intervention, alors que les échecs de la MINUSTA sont encore visibles dans le pays. Il a évoqué la perspective cubaine comme une option pertinente selon lui pour apporter un soutien au pays, Cuba étant selon lui toujours fait preuve d’un désintérêt envers Haïti et de missions de solidarités importantes, comme la mission médicale Milagro. Les discussions se sont clôturés sur une invitation de la coordinatrice du pôle Caraïbe à poursuivre ces discussions, tant avec des chercheurs haïtiens et caribéens travaillant sur le pays, que dans une perspective comparatiste et transcaribéenne.

Seminário
20 mars 2023
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Séminaire Haïti - 20 mars 2023

Perspectives croisées depuis les sciences sociales sur Haïti : regards européens

20 mars 2023

 

Le pôle Caraïbe de l'institut des Amériques organise un séminaire "Perspectives croisées depuis les sciences sociales sur Haïti : regards européens" afin de réunir plusieurs chercheurs européens pour échanger sur Haïti.

Organisé en collaboration avec le CREDA, la FLACSO-Rd, Iglobal et la Funglode, cet événement bénéficiera d'une traduction en espagnol.