Le 14 juin 2022, le pôle Caraïbe de l’Institut des Amériques a organisé, en collaboration avec la Funglode-Iglobal, une table ronde à la Funglode portant sur les questions de planification urbaine et de développement territorial et durable dans la métropole de Saint-Domingue.
L’événement a réuni trois panelistes dominicains et une trentaine de participant.es en présentiel, donnant lieu à une discussion très riche autour de ces thèmes centraux pour la métropole dominicaine. L’événement a été soutenu par l’ADEFF, association des anciens Dominicains ayant étudiés en France. La table ronde a été enregistrée et peut être visionnée sur la chaine YouTube de la Funglode.
Alcides Rodriguez, ingénieur génie civile au ministère de la construction a introduit la table ronde en présentant une mise en contexte des dynamiques urbaines à l’œuvre à Saint-Domingue et des défis posés par la question du logement. Il a rappelé le processus d’extension urbaine important qu’a connu la capitale et la crise du logement qu’elle traverse, puisqu’il manquerait aujourd’hui plus de 600 000 logements dans la métropole qui compte plus de 4,5 millions d’habitants pour le grand Saint-Domingue. 40 % de la population métropolitaine vit sur des terrains non cadastrés, très denses, et l’accessibilité en terme de transports et d’infrastructures (eau, électricité) demeure compliquée pour une grande partie des citadins. Alcides Rodriguez a souligné l’importance des lois de planification territoriale pour l’aménagement d’une ville durable et la nécessité de combiner échelle municipale et étatique pour proposer des solutions urbanistiques durables pour tous.
Darysleida Sosa Valdez, docteure en urbanisme et architecture et post-doctorante à l’IRD, a présenté une communication intitulée « la politica urbana, la nueva y el nuevo » centrée sur le cas des quartiers précaires de Saint-Domingue (barrios). Elle a évoqué différentes expériences urbanistiques menées dans la capitale au cours du XXème siècle et a montré comment des politiques publiques a priori conduites au nom du développement durable pouvaient servir de prétexte à l’éviction et à la marginalisation des quartiers et populations populaires. Elle a souligné que l’urbanisation informelle ne devait pas être considérée comme un problème mais bien plutôt comme une ressource pour penser la ville de demain. 75 % de la production de logements à Saint-Domingue émane en effet de l’auto-construction dans les barrios, où les habitants font preuve d’une grande inventivité architecturale et urbanistique ; des solutions peuvent être trouvées dans un dialogue entre experts techniques, architectes et ingénieurs, et populations et savoirs vernaculaires. Les politiques publiques top down, émanent des instances gouvernementales, sont alors incompatibles avec la réalité des enjeux urbanistiques de la capitale et une plus grande place doit être accordée aux processus participatifs qui incluent les habitants.
C’est justement une expérience participative qu’a ensuite présentée Ana Moyano. Cette dernière est membre de ARCOIRIS, un collectif dominicain qui vise à cartographier de manière participative la gestion des risques dans la capitale. Par la mise en place de plateformes de cartographie et à travers des formations dans l’ensemble des quartiers du grand Saint-Domingue, les habitants sont invités à délimiter des zones vulnérables à partir de leurs connaissances du terrain et de la réalité locale. Le projet Mapea mi barrio permet ainsi la création de données locales à une échelle très fine, données utilisées et destinées aux citadins qui sont acteurs de la planification urbaine. Ana Moyano a rappelé les problèmes soulevés par la fragmentation de la capitale dominicaine, qui fonctionne de manière extrêmement duale, dans un contexte de boom de l’immobilier destiné aux classes moyennes et supérieures. La verticalisation du bâti qui résulte de ce processus (urbanisme de tours) ne répond en fait que très peu aux défis socio-environnementaux de la ville. L’enjeu est d’intégrer tous les citadins et de limiter l’explosion des inégalités socio-spatiales dans une métropole caribéenne qui est aujourd’hui la deuxième ville la plus chère d’Amérique latine.
Ces interventions ont ensuite donné lieu à de riches discussions et se sont conclues par un petit pot. Un cycle de conférences sur ces thématiques est envisagé en collaboration avec l’Iglobal pour l’année 2023. Le rôle de la société civile dans la planification territoriale ou encore les questions des politiques publiques du logement, de la gouvernance de la ville et du marché immobilier seront abordées dans de prochaines séances.