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Pôle andin Bagota de l'Institut des Amériques 

 

Le jeudi 2 mars dernier, l’Institut français a célébré l’édition 2023 de la Nuit des Idées. Cette année, le pôle Bogotá s’est associé à l’Alliance française de Medellín qui souhaitait mettre à l’honneur la thématique du vivant et de la santé socio-environnementale. Grâce aux contacts de l’Institut des Amériques et de l’Association des juristes franco-colombiens, nous avons eu l’honneur de diffuser en avant-première un court-métrage sur le droit des paysan·ne·s et la protection de leur territoire en Colombie. Suite à la projection, une partie de l’équipe du documentaire a ouvert le débat en compagnie d’un représentant d’une banque communautaire de semences natives et de la coordinatrice du pôle, juriste spécialiste de ces questions socio-environnementales. En parallèle de ce partage d’idées, un marché de produits locaux et agro-écologiques ainsi qu’un concert de musique ont sustenté aussi bien nos papilles que notre ouïe.

Le court-métrage intitulé « Campesinos : la voluntad del territorio » donne un panorama alarmant de la situation des territoires ruraux de deux départements colombiens (Caqueta et Cauca). Entre élevage intensif, extractivisme et monocultures d’usage illicite, les équilibres éco-systémiques et sociaux sont rendus très fragiles. Le documentaire cite plusieurs chiffres qui illustrent tristement les menaces que ces activités font peser sur le monde paysan local : en 2019, le niveau d’inégalité de la Colombie (mesuré par le coefficient de Gini -0,53- était le plus élevé des pays de l’OCDE ; un million de foyers paysans colombiens disposent de moins de terres qu’en dispose une vache moyenne ; depuis 2000, la Colombie a augmenté ses importations de produits alimentaires de 107% ce qui a, par suite, entraîné le déclin de plusieurs cultures nationales. Après avoir énoncé ces faits accablants, le documentaire se tourne vers diverses initiatives de protection du territoire et de la vie. Portées par des paysan·ne·s, ces projets productifs visent en définitive à revendiquer une vision alternative de que l’on appelle communément le « développement ». 

 

Lors de la discussion post-projection, César Cedrón, protagoniste du film, conseiller municipal et représentant des paysans de sa région, a complémenté cette fresque en témoignant de la réalité que son territoire vit actuellement. Il a relaté le paradoxe auquel la zone qu’il habite est confrontée : le barrage hydroélectrique qui a totalement transformé son paysage ne permet même pas de garantir aux foyers riverains un accès non intermittent à l’électricité. Après avoir regretté que la campagne colombienne vende ses productions à des prix dérisoires, il exhorte l’État de prendre en compte non seulement la capacité de production mais aussi celle de transformation in situ de ses produits. Selon lui, cette activité plus intégrale permettrait que les bénéfices de la valeur ajoutée du produit récolté reviennent directement aux paysan·ne·s. Il a également parlé de l’importance du dialogue entre les différents sujets subalternes de la ruralité qui cohabitent sur les mêmes territoires. En ce sens, il explique les différents types de gestion environnementale qui caractérisent ses voisins indigènes et ses collègues paysan·ne·s. Si les premiers considèrent que la terre doit être au repos pour rester forêt, les seconds estiment qu’elle est un matériel de travail à exploiter. La compréhension mutuelle de ces deux points de vue a priori antagoniques permet, selon César Cedrón, une meilleure gestion concertée des territoires communs. À propos des luttes pour le respect de la souveraineté alimentaire, il cite une expression désormais bien connue depuis que la Commission de la Vérité lui a dédié le titre de son volume sur les populations ethniques : « resistir no es aguantar ». Il explique ainsi que la résistance est un empowerment qui transforme la réalité et apporte à la construction de la paix territoriale. Dans cette mesure, la résistance ne doit pas être comprise comme une activité strictement passive de pure survie ; c’est, au contraire, un travail réellement productif.

 

De son côté, Danilo Gómez, membre de la plateforme « Espora, semillas originarias », a attiré l’attention sur l’effondrement de la biodiversité et notamment des espèces végétales comestibles. Il rappelle que l’alimentation précolombienne dans la région d’Antioquia était très diversement constituée : un seul repas pouvait être composé de plus de 60 espèces (végétales et animales). Il soutient que la conservation est compatible avec la production et vice versa que la production peut se faire en conservant. Espora soutient justement ces initiatives de préservation de la biodiversité, et spécifiquement de l’agrodiversité. En essayant de diversifier la production et donc l’alimentation des populations via la plantation de graines originaires locales, le collectif lutte contre les monocultures globalisées, lesquelles accroissent notre dépendance alimentaire tout autant qu’elles aggravent notre mauvaise santé humaine et environnementale.

 

Ensuite, Élise Pic a apporté des précisions sur le cadre juridique national et international en la matière. Elle a notamment fait référence aux récentes annonces gouvernementales qui promettent un renforcement des garanties de protection des territoires ruraux et de ses habitants. Notamment, l’annonce de la ratification de l’Accord d’Escazú par la Colombie en août dernier est un important pas en avant pour la protection des leaders environnementaux et la participation citoyenne. Par ailleurs, le projet de réforme de l’article 64 de la Constitution politique actuellement en débat parlementaire permettrait d’intégrer dans le bloc de constitutionnalité la Déclaration des Nations unies sur les droits des paysan·ne·s et de tous les travailleurs ruraux. La 1ère Convention nationale paysanne, qui a eu lieu en décembre dernier à Bogotá, est également prometteuse pour la démocratie participative et la construction d’une réforme agraire intégrale concertée. Le sujet semble donc enfin être mis sur la table prioritaire du gouvernement. Cette intégration au sein de l’agenda politique national permet, en tout état de cause, de mobiliser de manière fructueuse, les divers acteurs concernés autour de discussions communes.

 

Les derniers mots furent ceux de Meliza Delgado, scénariste du film. Elle a expliqué l’intention du documentaire en parlant de souveraineté audiovisuelle. Pour elle, il s’agit d’un véritable acte de résistance contre les médias hégémoniques et les publicités qui vendent des produits globalisés et nous éloignent de ce que nos territoires locaux nous offrent. En s’emparant des écrans, l’équipe du documentaire souhaite narrer cette réalité locale et ainsi faire rêver le public différemment.

 

Enfin, les 7 musiciens du groupe Canto Vivo ont mis en musique cette résistance pour la souveraineté au rythme du bullerengue (rythme traditionnel afro colombien principalement interprété par les palenques -anciens esclaves ayant combattu pour leur liberté-). Les producteurs agro-écologiques nous ont, quant à eux, proposés des dizaines de denrées plus alléchantes et originales les unes que les autres (entre cafés et fromages éco-responsables, graines ou plantes locales et cigarettes sans tabac ni substance illicite à base de plantes et de fleurs séchées). La soirée s’est ainsi clôturée de manière très chaleureuse sur l’agréable terrasse arborée du café et de la casa-museo Otraparte qui ont généreusement accueilli ces diverses activités.

 

Rencontre
2 mars 2023
Avec le concours de l'IdA
Medellin
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Nuit des idées

Nuit des idées 2023 - Medellín

2 mars 2023

La nuit des idées est un événement mondial qui encourage la réflexion et le débat d'idées. Cette année, nous aborderons les questions environnementales, agricoles et sociales en Colombie : première du documentaire "Campesinos : la voluntad del territorio" (Paysans : la volonté du territoire), discussion, concert, marché de produits artisanaux, locaux et agro-écologiques...