Le 23 novembre 2021 s’est tenu en ligne le séminaire « Derecho y etnicidad » organisé par Diana Ospina Diaz (chercheuse associée au Centre Maurice Halbwachs de l’ENS Paris) et Élise Pic (coordinatrice du pôle Bogotá) avec l’appui de Francisco Ortega (professeur à la Universidad Nacional de Colombia et référent du pôle Bogotá) et Laetitia Braconnier Moreno (ancienne coordinatrice du pôle Bogotá).
Le 30ème anniversaire de la constitution colombienne, célébré en 2021, est l’occasion pour de nombreux chercheur·euse·s, militant·e·s et citoyen·ne·s de revenir sur 3 décennies d’application de ce texte fondateur et sur ses perspectives pour l’avenir. Un des aspects amplement discutés dans le cadre de cet événement marquant est le caractère multiculturel de l’État qui fut proclamé en 1991 puis notamment interprété par la Cour constitutionnelle et approprié par les acteurs de l’ethnicité.
L’appréhension de l’ethnicité par un corpus de droits à la reconnaissance, à la protection et aux droits différentiels est, en retour, saisie par les peuples ethniques et leurs alliés eux-mêmes. Ces derniers, en mobilisant ce droit, contribuent in fine à le produire. Le séminaire entendait justement discuter du pouvoir performatif du droit dans les processus de production et de réaffirmation de l’ethnicité et inversement, du rôle des acteurs de l’ethnicité dans la production même du droit.
Pour aborder ces questions, 5 universitaires reconnu·e·s en Colombie nous ont accompagné·e·s lors du webinaire scindé en deux panels thématiques.
Le 1er axe, focalisé sur l’agentivité et le droit, s’est ouvert par l’intervention de Virginie Laurent (professeure à la Universidad de Los Andes), laquelle a été suivie par la présentation de Paulo Ilich Bacca (chercheur à Dejusticia et professeur à la Universidad Javeriana) et enfin par celle de Camilo Borrero García (professeur à la Universidad Nacional de Colombia). Sont ensuite intervenus lors du 2ème panel dédié aux reconnaissances différentielles, Daniel Bonilla Maldonado (professeur à la Universidad de los Andes) et Rosembert Ariza Santamaría (professeur à la Universidad Nacional de Colombia).
Les discussions furent stimulantes et permirent de dresser un panorama du traitement académique de cette thématique au prisme des sciences humaines et sociales. En effet, la variété des origines disciplinaires des intervenant·e·s et les diverses nuances émises par leur point de vue ont contribué à enrichir les échanges.
Suite à une brève rétrospective des mobilisations indigènes en Colombie (V. Laurent) et à l’exposition de quelques jurisprudences concernant les conflits de compétences entre juridictions (C. Borrero García), un constat commun a été posé : le droit multiculturel colombien contribue à dessiner les frontières de l’ethnicité tel que l’État entend la reconnaître. Dans ce contexte, les intervenant·e·s ont analysé la lutte des peuples indigènes, à la fois avec, contre et par le droit comme une véritable condition de leur survie (ibid). Une typologie des États saisie par le constitutionnalisme moderne nous a ensuite permis de mettre en perspective les évolutions de l’État colombien, avant et après la Constitution politique de 1991, ainsi que de ses voisins latino-américains (D. Bonilla Maldonado).
Face à ces éléments de contexte, des propositions ont été évoquées pour contrer ce continuum de colonialité. Par exemple, il pourrait être fait usage d’une anthropologie juridique inversée pour inspirer une « indigénisation du droit international » en considérant sérieusement le potentiel épistémologique des cosmologies indigènes pour transformer le Droit (P. Ilich Bacca). D’un point de vue moins optimiste, l’expérience du droit multiculturel colombien peut encore être considérée comme l’artefact d’un pluralisme conservateur, en ce sens qu’il est imposé par un processus top-down voire serait une instrumentalisation rhétorique de la part de l’État. Suivant cette opinion, il conviendrait ainsi de ne pas surestimer le pouvoir émancipateur du droit et ne lui accorder de l’importance que dans la mesure où il sert la résistance (R. Ariza Santamaría).